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BIOGRAPHIE par Olivier Bellamy
Pour Julia Migenes, Hollywood est à la fois un mythe commun à toute l’humanité et une partie de sa vie. Citoyenne de Los Angeles, elle habite une maison de star construite par un ancien acteur de muet devenu architecte et hantée, pense-t-elle très sérieusement, par le fantôme de l’actrice Tallulah Bankhead, qui était l’amie
intime de Billie Holyday et de Zelda Fitzgerald. A deux pas se trouve le premier appartement de Marilyn, l’ultime demeure Orson Welles et l’ancienne villa d’Errol Flynn.
L’âge d’or d’Hollywood reste un idéal toujours vivace dans la mémoire universelle. Chaque année, une femme en noir dépose une rose sur la tombe de Valentino. Gilda n’en finit pas de faire chavirer les coeurs et le sourire de Cary Grant flotte comme un paradis perdu. La comédie musicale américaine n’a rien perdu de sa fascination sur
le public. Univers de magie et de perfection, elle attirait les plus grands artistes du monde prêts à se fondre dans cette mirifique utopie. Des compositeurs de génie comme Erich Korngold (le protégé de Gustav Mahler), Max Steiner (élève de Richard Strauss), Gershwin (adulé par Ravel) ont mis leur art au service de la plus fantastique
usine à rêves de l’histoire du spectacle. "Je veux bien monter cet escalier à condition d’être portée par Max Steiner" exigeait avec humour Bette Davis.
Julia Migenes est de cette race de caméléons magnifiques, ultra virtuoses, mais capables de traverser tous les genres, de se fondre à tous les univers. Repérée à onze ans par Leonard Bernstein, elle a débuté dans la Lulu de Berg au Metropolitan Opera de New York, rôle si difficile que même Natalie Dessay a déclaré forfait en se
penchant dans la partition. Elle a aussi incarné de manière inoubliable la Salomé de Richard Strauss pour Maurice Béjart et marqué à jamais la Carmen de Bizet au cinéma. Dotée d’une nature peu commune, qui la pousse jusqu’au bout de ses passions, Julia Migenes est non seulement une instinctive, mais aussi une travailleuse acharnée, une chanteuse sans limites, une musicienne absolue comme l’étaient Lili Lehmann ou Maria Callas en leur temps. Cherchant sans relâche la couleur exacte de chaque note, la vérité du sentiment et le sens profond de chaque mot. "La ligne mélodique, ça respire avec le mot. On doit chanter comme on parle"
assure Julia. Au commencement était le verbe. La musique n’est que le doigt de Dieu qui se pose sur celui d’Adam, donnant la transcendance aux choses humaines.
Hollywood Diva est un projet artisanal à la hauteur du miracle hollywoodien, pas un disque en série fait à la vavite. La direction artistique a été confiée au compositeur et arrangeur de cinéma Christophe Julien. Un musicien ouvert, cultivé, moderne, selon Julia. Ils ont d’abord travaillé plusieurs jours dans un grand studio de Los Angeles. Enflammé par la personnalité de la chanteuse, Christophe Julien n’a pas limité sa créativité. Tout en l’accompagnant au piano ou à la guitare, il rêvait à un habillage de cordes, une guirlande de percussions, sans se priver d’une touche de couleur au saxophone ou au bandonéon. Au moment du mixage, il suggérait encore à Julia une coulée de violoncelle pour exalter le lyrisme d’un passage. De son côté, la chanteuse lui a fait écouter des musiques de Michael Kamen (le compositeur de The Wall, Brazil, L’arme fatale) pour l’inspirer.
C’est en actrice que Julia Migenes a donné chair à chaque morceau. "Je me perds dans le personnage et la caractérisation vocale vient toute seule. Quand je chante Lola, je suis en elle." Julia Migenes a exploré toute la palette vocale comme autant de nuances émotionnelles. Dès le début, elle a imaginé le projet physiquement, pensant déjà au spectacle, prévoyant ici un numéro de claquettes, là une envolée chorégraphique.
Les deux complices se sont retrouvés à Paris. "On a répété avec une guitare dans la salle de bains de mon hôtel où la qualité du silence et le retour acoustique étaient idéals" se souvient Julia en riant. L’enregistrement a eu lieu au studio du boulevard Davout à Paris, bien connu des Lalo Schiffrin, Michel Legrand, Sting ou autre Prince. Les séances se sont déroulées sur pas moins de dix jours en présence des musiciens. Du cousu main à l’ancienne car généralement, les chanteurs posent leur voix sur une bande instrumentale réalisée à part.
"On n’en produit plus des disques comme Hollywood Diva" estime Christophe Julien. Pour Julia, ce qui paraît exceptionnel lui est tout simplement vital : "A chaque projet, je m’arrête de vivre. Si l’on n’est pas obsédé jour et nuit par ce qu’on fait, ça ne marche pas. Ce n’est pas de l’art." Les grands d’Hollywood ne travaillaient pas autrement.